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qu’il doit vivre dans l’eau, lui était créé par Dieu de telle façon qu’il lui fallait trente mille roubles par an et une situation prépondérante dans la société. Il en était si pertinemment convaincu qu’en le regardant les autres en étaient convaincus de même et ne lui refusaient ni la place prépondérante, ni l’argent qu’il empruntait au premier venu sans penser à le rendre.

Il n’était pas joueur, c’est-à-dire qu’il ne désirait pas le gain ; il n’était pas vaniteux, il s’inquiétait peu de ce qu’on disait de lui, encore moins était-il coupable d’ambition ; plusieurs fois il avait fâché son père en nuisant à sa carrière et se moquant de tout le monde. Il n’était pas avare et ne refusait à quiconque s’adressait à lui. La seule chose qu’il aimât c’était le plaisir et les femmes, et comme, selon ses conceptions, ces goûts n’avaient rien de contraire à la noblesse, comme il ne pouvait réfléchir aux conséquences pour les autres de la satisfaction de ses goûts, alors, il se considérait comme un homme irréprochable, méprisait franchement les lâches et les méchants, et, la conscience tranquille, portait haut la tête.

Chez les noceurs, chez ces hommes-madeleines, il y a un sentiment secret de la conscience de l’innocence, basé, comme chez la Madeleine, sur l’esprit de pardon. « Tout lui sera pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé » et à eux il leur sera beaucoup pardonné parce qu’ils se sont beaucoup amusés.