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il s’inquiète en vain, s’il savait comme tout cela m’est égal ! » pensait Natacha.

Anna Mikhaïlovna, en toque verte, le visage heureux, en fête, soumise à la volonté de Dieu, était assise derrière eux. Dans leur loge régnait cette atmosphère de fiançailles que connaissait et aimait tant Natacha. Elle se retourna et, tout d’un coup, toute l’humiliation de sa visite du matin se rappela à elle. « Quel droit a-t-il de ne pas vouloir m’accepter dans sa parenté ? Ah ! il vaut mieux n’y pas penser jusqu’à son retour ! » et elle se mit à regarder les visages connus et inconnus de l’orchestre. Devant l’orchestre, juste au milieu, le dos tourné vers la rampe, se tenait Dolokhov, avec ses cheveux épais, bouclés, rejetés en arrière ; il était en costume persan. Il était le point de mire de toute la salle, et tout en sachant qu’il attirait l’attention générale, il se tenait avec autant d’aisance que s’il eût été dans sa chambre. Près de lui s’était groupée la jeunesse dorée de Moscou, et l’on voyait qu’il la dirigeait.

Le comte Ilia Andréiévitch, en riant, poussa Sonia rougissante en lui montrant son ancien adorateur.

— L’as-tu reconnu ? dit-il. Et d’où sort-il ? demanda-t-il à Chinchine. Il était disparu quelque part.

— Oui, il avait disparu, répondit Chinchine. Il est allé au Caucase, et là-bas s’est enfui. On dit qu’il a été ministre d’un prince quelconque en