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Il y a quelque chose de si ravissant dans le sourire de la mélancolie. C’est un rayon de lumière dans l’ombre, une nuance entre la douleur et le désespoir, qui montre la consolation possible, dit-elle à Boris en répétant mot à mot le passage d’un livre.

À quoi Boris lui écrivit :


Aliment de poison d’une âme trop sensible,
Toi, sans qui le bonheur me serait impossible,
Tendre mélancolie, ah ! viens me consoler,
Viens calmer les tourments de ma sombre retraite

Et mêle une douceur secrète
À ces pleurs que je sens couler.


Julie jouait à Boris, sur la harpe, les nocturnes les plus tristes. Boris lui lisait à haute voix La pauvre Lise, et, plusieurs fois, l’émotion qui lui serrait la gorge le faisait interrompre sa lecture. Quand Julie et Boris se rencontraient dans la grande société, ils se regardaient comme s’ils eussent été des gens uniques dans ce monde indifférent et qui se comprenaient l’un l’autre.

Anna Mikhaïlovna, qui venait souvent chez les Karaguine, tout en faisant sa partie avec la mère, tâchait de prendre des renseignements sûrs, quant à la dot de Julie (on lui donnait les deux domaines de Penza et des forêts en Nijni-Novgorod). Anna Mikhaïlovna, soumise à la volonté de la Providence, regardait, avec attendrissement, la tristesse raffinée qui liait son fils à la riche Julie.