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— Non, dit la princesse Marie.

— Maintenant, pour plaire aux jeunes filles de Moscou, il faut être mélancolique. Et il est très mélancolique auprès de mademoiselle Karaguine.

— Vraiment ! fit la princesse Marie en regardant le bon visage de Pierre et, pensant toujours à son chagrin : « Je me sentirais mieux si je me décidais à confier à quelqu’un ce que j’éprouve, et c’est précisément à Pierre que je me sens l’envie de dire tout. Il est si bon et si noble. Cela me soulagerait. Il me donnerait un conseil » ; pensait-elle.

— L’épouseriez-vous ? demanda Pierre.

— Ah ! mon Dieu ! comte, il y a des moments où j’épouserais n’importe qui, prononça tout à coup la princesse Marie, se surprenant elle-même, avec des larmes dans la voix. Ah ! comme c’est pénible d’aimer un homme proche et de sentir, ajouta-t-elle d’une voix tremblante, qu’on ne peut rien lui faire que du chagrin, quand on sait qu’on ne peut pas le changer !

— Qu’avez-vous ? Qu’avez-vous, princesse ? Sans achever, la princesse Marie se mit à pleurer.

— Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui. Ne faites pas attention. Oubliez ce que je vous ai dit.

Toute la bonne humeur de Pierre disparut. Il interrogeait soucieux la princesse, la suppliant de dire tout, de lui confier sa douleur. Mais elle répétait seulement qu’elle le priait d’oublier ce qu’elle