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esprit russe que respirait cette jeune comtesse élevée par une Française émigrante ; où avait-elle pris toutes ces manières que le pas de châle aurait dû, semble-t-il, effacer depuis longtemps ? Mais son esprit, ses manières, étaient ces mêmes manières russes, inimitables, que l’oncle attendait d’elle. Dès qu’elle s’arrêta, souriant triomphalement avec fierté et gaîté, le premier sentiment qui avait saisi Nicolas et tous les assistants, la peur qu’elle ne pût s’en tirer, s’évanouit et ils l’admiraient déjà. Elle fit tout à fait ce que faisait Anicia Feodorovna, qui, aussitôt, lui donna le fichu nécessaire pour la danse et rit à pleurer en regardant cette jeune comtesse, fine, gracieuse, si éloignée d’elle, vêtue de soie et de velours, qui savait comprendre tout ce qui était en elle, Anicia, en son père, en sa tante, en sa mère et en chaque Russe.

— Eh bien ! petite comtesse, bon ! dit l’oncle, avec un rire gai quand il eut terminé la danse. En voilà une nièce ! Voilà, maintenant tu n’as plus qu’à choisir un bon mari ; bon !

— Il est déjà choisi, dit en souriant Nicolas.

— Oh ! fit l’oncle étonné, en la regardant d’un air interrogateur.

Natacha, avec un sourire heureux, hocha affirmativement la tête.

— Et quel mari ! dit-elle. Mais aussitôt un autre genre de pensées et de sentiments surgit en elle.