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Te coûtera de le faire pour moi ! Je sais bien que Tu es grand et que je commets un péché en Te demandant cela ; mais, mon Dieu, fais que le vieux loup coure sur moi, et que, sous les yeux de l’oncle qui regarde là-bas, Karaï le saisisse à la gorge. »

Durant cette demi-heure, Rostov parcourut mille fois, d’un regard obstiné, tendu, inquiet, la lisière de la forêt : deux chênes, étalant leurs branches sur un massif de tremble, le fossé aux bords défoncés par l’eau et le bonnet de l’oncle émergeant à peine d’un buisson, à droite. « Mais je n’aurai pas cette chance, pensait-il. Et ce serait si facile ! Non, ce ne sera pas ! Dans les cartes et à la guerre et en tout, je n’ai jamais de chance ! »

Austerlitz et Dolokhov se présentaient rapidement à son imagination. « Une seule fois dans la vie, tuer un vieux loup ; je n’en demande pas davantage » ; et il tendait l’oreille et les regards à gauche, et de nouveau à droite, en écoutant les moindres échos du bruit de la poursuite. Il regarda encore à droite et vit dans l’espace désert quelque chose qui courait de son côté. « Non, ce n’est pas possible ! » pensa Rostov en soupirant lourdement, comme un homme qui voit s’accomplir ce qu’il a attendu si longtemps. Le plus grand bonheur s’accomplissait si simplement, sans bruit, sans fanfare, sans signes particuliers. Rostov