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« Les chagrins sont évidemment notre sort commun, chère et tendre Julie. Votre deuil est si terrible que je ne puis pas me l’expliquer autrement que comme une faveur particulière de Dieu qui, vous aimant, vient vous éprouver vous et votre excellente mère. Ah ! mon amie ! La religion seule peut, je ne dis pas nous consoler mais nous délivrer du désespoir. La religion seule peut nous expliquer ce que, sans son aide, l’homme ne peut comprendre : pourquoi les êtres nobles, bons, qui savent trouver le bonheur dans la vie, qui non seulement ne nuisent à personne mais sont nécessaires au bonheur des autres, sont appelés à Dieu, tandis que restent des êtres méchants, inutiles, nuisibles ou qui sont un fardeau pour les autres. La première mort que j’ai vue et que je n’oublierai jamais, c’est la mort de ma charmante belle-sœur, qui a produit sur moi tant d’impression. De même que vous demandez au sort pourquoi votre bon frère devait mourir, de même j’ai demandé pourquoi Lise devait mourir, cet ange qui non seulement n’avait fait de mal à personne, mais qui n’avait eu dans l’âme que des pensées bonnes. Eh quoi, mon amie ! cinq ans se sont écoulés et moi, avec mon faible esprit, je commence enfin à comprendre clairement pourquoi elle devait mourir et comment cette mort n’était que l’expression de la bonté infinie du Créateur, dont tous les actes, bien que pour la plupart nous