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elle s’était déshabituée depuis le bal. Après avoir pris le thé, elle alla au grand salon qu’elle aimait à cause de sa forte résonnance et se mit à solfier.

Quand elle eut terminé la première leçon, elle s’assit au milieu de la salle et répéta une phrase musicale qui lui plaisait particulièrement. Elle écoutait avec plaisir le charme avec lequel ses sons, en se répandant, emplissaient tout le vide de la salle puis s’éteignaient lentement ; et tout à coup elle devint gaie. « À quoi bon y penser beaucoup, c’est bien sans cela ! » se dit-elle, et elle se mit à marcher de long en large, sur le parquet sonore de la salle, non pas simplement, mais en changeant de pas chaque fois et glissant du talon sur la pointe ; (elle avait les chaussures neuves qu’elle préférait), puis joyeuse comme en entendant le son de sa voix, elle écoutait le choc régulier du talon et le grincement des pointes. En passant devant le miroir elle s’y regardait. « Voilà comme je suis ! » semblait dire l’expression de son visage quand elle se voyait. « Eh bien, c’est bon, il ne me faut personne ! »

Le valet voulut entrer pour arranger quelque chose dans le salon ; mais elle ne le laissa pas, ferma derrière lui la porte et continua sa promenade. Ce matin-là, elle revenait de nouveau à son état favori d’amour de soi-même et d’admiration pour sa personne… « Quel charme cette Nathalie ! se disait-elle de nouveau comme si c’eût été un