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dité. Elle sentait qu’il avait quelque chose à dire, mais qu’il ne pouvait s’y décider.

Quand le soir le prince André partit, la comtesse s’approcha de Natacha et lui demanda à voix basse :

— Eh bien, quoi ?

— Maman, au nom de Dieu, ne me demandez rien maintenant. On ne peut parler de cela.

Mais cependant, ce soir, Natacha, tantôt émue, tantôt effrayée, les regards immobiles, resta longtemps couchée dans le lit de sa mère. Tantôt elle lui racontait comment il lui faisait des compliments, puis lui disait qu’il partirait à l’étranger, tantôt lui demandait où ils passeraient l’été, tantôt lui parlait de Boris.

— Mais je n’ai jamais éprouvé rien de pareil ! disait-elle ; seulement, je suis mal à l’aise devant lui, j’ai peur ; qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que cela signifie que c’est vrai ? Hein ? Maman, vous dormez ?

— Non, mon amie ; moi aussi, j’ai peur, répondit la comtesse. Va dormir.

— Ce n’est pas la peine, je ne dormirai pas. Quelle bêtise de dormir ! Maman, jamais, jamais je n’ai senti rien de pareil ! répétait-elle, terrifiée et étonnée de ce sentiment qu’elle apercevait en elle. Pouvions-nous penser !

Il semblait à Natacha qu’elle était éprise du prince André depuis qu’elle l’avait vu pour la pre-