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larmes, c’était la contradiction violente qu’il avait reconnue tout à coup entre quelque chose d’infini, de grand qui était en lui, et la matière étroite, corporelle qu’il était, lui, et même elle. Cette contradiction l’attristait et le réjouissait tandis qu’elle chantait.

Aussitôt que Natacha cessa de chanter, elle s’approcha de lui et lui demanda comment lui plaisait sa voix. Elle fit cette question et aussitôt devint confuse en comprenant qu’il ne fallait pas la faire. Il sourit en la regardant, et lui dit que son chant lui plaisait comme tout ce qu’elle faisait.

Le prince André partit tard le soir de chez les Rostov. Il se coucha, par habitude, mais il s’aperçut bientôt qu’il ne pouvait pas dormir. Tantôt, allumant la bougie, il s’asseyait sur son lit ; tantôt il se recouchait et ne souffrait pas de l’insomnie ; son âme était joyeuse et neuve, comme si elle se fût échappée à l’air libre d’un réduit étouffant. Il ne lui venait pas en tête qu’il était amoureux de mademoiselle Rostov. Il ne pensait pas à elle, il se l’imaginait seulement et grâce à cela, toute sa vie se présentait à lui sous un jour nouveau. « De quoi m’occupé-je, à quoi bon travailler dans ce cadre étroit, fermé, quand la vie, toute la vie avec toutes ses joies, m’est ouverte ? » se disait-il. Et pour la première fois depuis longtemps il se mit à faire des plans joyeux pour l’avenir. Il décida qu’il devait s’occuper de l’éducation de son fils, lui trouver