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qui étaient jugés dignes de l’écouter devaient venir près de la comtesse qui ne la lâchait pas. Des précepteurs, des bonnes, Mitenka, quelques connaissances vinrent, et la comtesse, chaque fois, relisait la lettre avec un nouveau plaisir, et chaque fois, après cette lecture, elle découvrait de nouvelles vertus à son Nikolenka. Si étrange, si extraordinaire, si joyeux que pût lui paraître ceci, que son fils, ce fils qui, vingt ans avant, agitait faiblement ses petits membres dans son sein, ce fils, cause de ses querelles avec le comte qui le gâtait, ce fils qui avait appris à prononcer d’abord « poire, » ensuite « femme, » que ce fils fût maintenant là-bas, à l’étranger, dans un milieu étranger, soldat courageux, seul, sans protecteur et sans guide, faisant là-bas son devoir d’homme. Toute l’expérience universelle des siècles, qui montre que les enfants, insensiblement, du berceau deviennent des hommes, n’existait pas pour la comtesse. La croissance de son fils, dans chacune de ses périodes, était pour elle aussi extraordinaire que si jamais des millions et des millions d’hommes ne se fussent développés de la même façon. De même que vingt ans avant, elle ne croyait pas que ce petit être, qui vivait quelque part en elle, sous son cœur, crierait et commencerait à prendre le sein, puis à parler, de même maintenant, elle ne croyait pas que ce même être pouvait devenir l’homme fort et courageux, modèle des fils et des