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était touchée jusqu’aux larmes quand, en imagination elle racontait cette histoire « à lui ».

Maintenant ce lui, le vrai prince russe paraissait. Il l’enlèvera, ensuite viendra la pauvre mère, et il l’épousera. Voilà comment s’arrangeait dans la tête de mademoiselle Bourienne toute son histoire future, pendant qu’elle parlait avec lui de Paris. Ce n’était pas le calcul qui guidait mademoiselle Bourienne (elle ne réfléchissait pas un moment à ce qu’il lui fallait faire), mais tout cela depuis longtemps était prêt en elle et maintenant se groupait simplement autour d’Anatole à qui elle désirait et tâchait de plaire le plus possible.

La petite princesse, comme un vieux cheval de régiment qui hennit au son des trompettes, oubliait sa situation et se préparait au galop habituel de la coquetterie sans aucune arrière-pensée, ni lutte, mais avec une gaieté naïve et frivole.

Bien que, dans la société des femmes, Anatole jouât le rôle de l’homme ennuyé des attentions féminines, il éprouvait un plaisir vaniteux en voyant son influence sur les trois femmes.

En outre, il commençait à éprouver, envers la jolie et excitante Bourienne, ce sentiment passionné, bestial qui l’empoignait avec une rapidité extraordinaire et le poussait aux actes les plus grossiers et les plus hardis.

Après le thé, la société passa au divan, et l’on invita la princesse à jouer du clavecin. Anatole