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ment de sa petite main potelée, comme s’il voulait prendre quelque chose. Les personnes de sa suite devinèrent sur le champ de quoi il s’agissait ; elles se remuèrent, chuchotèrent, en se passant quelque chose, et le page, celui même que Rostov avait vu hier chez Boris, courut en avant, s’inclina respectueusement sur la main tendue, et sans la faire attendre, y remit la décoration au ruban rouge. Napoléon, sans regarder, serra deux doigts. La décoration était entre eux. Napoléon s’approcha de Lazarev qui roulait des yeux et continuait à regarder obstinément son empereur, et il se tourna vers l’empereur Alexandre, en montrant par là que ce qu’il faisait maintenant était fait pour son allié. La petite main blanche qui tenait la décoration touchait la boutonnière du soldat Lazarev. Napoléon semblait croire qu’il suffisait, pour que ce soldat fût heureux pour toujours, pour qu’il fût récompensé et distingué de tous les autres hommes, que la main de Napoléon daignât toucher la poitrine de ce soldat. Napoléon appuya seulement la croix sur la poitrine de Lazarev et retirant sa main il s’adressa à Alexandre, comme s’il savait que la croix devait s’attacher à la poitrine de Lazarev. En effet, elle s’y attachait.

Des mains secourables russes et françaises, saisissant vivement la croix, l’attachaient à l’uniforme. Lazarev regardait sombrement ce petit homme aux mains blanches qui lui avait fait quelque chose