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agréable et le même voile sur les yeux qu’il avait pris en rencontrant Rostov, il essayait d’animer la conversation. Un des Français, avec l’habituelle politesse française, s’adressa à Rostov qui se taisait obstinément, et lui dit qu’il était sans doute venu à Tilsitt pour voir l’empereur.

— Non, j’avais à faire, répondit brièvement Rostov.

Rostov était devenu de mauvaise humeur dès qu’il avait vu s’assombrir le visage de Boris, et, comme il arrive toujours aux hommes de mauvaise humeur, il lui semblait que tous le regardaient d’un air hostile et qu’il gênait tout le monde. En effet, il gênait tout le monde et restait seul en dehors de la conversation commune qui s’engageait de nouveau. « Pourquoi est-il ici ? » semblaient dire les regards que les convives jetaient sur lui. Il se leva et s’approcha de Boris.

— Non, je te gêne, lui dit-il bas, allons causer de nos affaires et je m’en irai.

— Mais non, pas du tout, dit Boris, et si tu es fatigué, va dans ma chambre et repose-toi un peu.

— Oui, en effet…

Ils entrèrent dans la petite chambre à coucher de Boris. Rostov, sans s’asseoir, avec irritation, comme si Boris était coupable envers lui, se mit aussitôt à raconter l’affaire de Denissov et demanda à Boris s’il pouvait et voulait intervenir pour lui, près de l’empereur, par l’intermédiaire