Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était aussi un petit vieillard jaune, tout ridé, sans moustache ni barbe ; on voyait qu’il n’était pas rasé, mais n’avait jamais eu de barbe. L’habile vieux serviteur ouvrit la cantine, prépara la table pour le thé et apporta le samovar bouillant. Quand tout fut prêt, le voyageur ouvrit les yeux, s’approcha de la table, se versa un verre de thé, en versa un au petit vieillard imberbe et le lui tendit. Pierre commençait à sentir avec inquiétude la nécessité et même la fatalité d’entrer en conversation avec le voyageur.

Le valet apporta un verre vide, renversé, avec un morceau de sucre entamé, et demanda s’il ne fallait pas quelque chose.

— Rien, donne le livre, dit le voyageur.

Le serviteur donna le livre. Il parut à Pierre que c’était un livre de piété. Le voyageur se plongea dans sa lecture. Pierre le regardait.

Tout à coup le voyageur posa le livre, et marquant la page la ferma, puis, de nouveau, il ferma les yeux et s’appuyant au dossier, il reprit sa position première. Pierre le regardait et avant qu’il eût pu se détourner, le vieillard ouvrit les yeux et fixa son regard résolu et sévère droit sur le visage de Pierre.

Pierre se sentit gêné. Il voulait fuir ce regard, mais les yeux brillants du vieillard l’attiraient invinciblement.