Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la même place, et on ne pouvait l’empêcher de tourner.

Le maître de poste entra et se mit à demander humblement à Son Excellence d’attendre seulement deux petites heures, après quoi, pour Son Excellence (il en adviendra ce qu’il pourra), il donnera les chevaux du courrier. Évidemment le maître de poste mentait. Il voulait seulement recevoir plus d’argent du voyageur. « Est-ce mal ou bien ? se demandait Pierre. Pour moi c’est bien, pour un autre voyageur c’est mal, et pour lui-même c’est inévitable, parce qu’il n’a rien à manger. Il dit que l’officier le battra pour cela, et l’officier le battra parce qu’il lui faudrait aller plus vite. Et moi j’ai tiré sur Dolokhov parce que je me jugeais offensé. On a supplicié Louis XVI parce qu’on le considérait comme un criminel, et un an après on a tué, pour quelque chose aussi, ceux qui l’avaient supplicié… Qu’est-ce qui est mal ? Qu’est-ce qui est bien ? qui faut-il aimer ? qui haïr ? Pourquoi vivre ? que suis-je ? qu’est-ce que la vie ? qu’est-ce que la mort ? quelle force dirige tout ? » se demandait-il ; et à ces questions il ne trouvait pas de réponses, sauf une, illogique et qui n’était pas du tout la réponse à ces questions. C’était : tu mourras et tout sera terminé. Tu mourras et tu sauras tout ou tu cesseras d’interroger. Mais mourir c’est aussi une chose terrible.

La marchande de Torjok proposait sa marchan-