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moqueur de Dolokhov tel qu’il était au dîner, puis le visage de Dolokhov pâle, souffrant, tremblant, tel qu’il l’avait aperçu en se retournant, quand il tombait sur la neige.

« Que s’est-il donc passé ? se demandait-il. J’ai tué l’amant. Oui, j’ai tué l’amant de ma femme. Oui. Pourquoi ? Comment en suis-je arrivé là ? » — « Parce que tu l’as épousée. » — répondait une voix intérieure. — « Mais en quoi suis-je coupable ? » se demandait-il. — « Parce que tu t’es marié sans amour ; parce que tu as trompé elle et toi-même. » Et il se représentait vivement cette soirée, après le souper chez le prince Vassili, quand il avait prononcé ces paroles qui ne voulaient pas sortir de sa bouche : « je vous aime. » « Tout venait de cela. Même alors, pensait-il, j’ai senti que ce n’était pas bien, que je n’avais pas le droit de parler ainsi. » Il se rappelait sa lune de miel et rougit à ce souvenir. Ce qui surtout le blessait et lui faisait honte, c’était ce souvenir, qu’un jour, après son mariage, à midi, en robe de chambre de soie, il était venu de la chambre à coucher dans le cabinet de travail et là avait trouvé son intendant qui l’avait salué respectueusement et, en regardant son visage et sa robe de chambre, avait souri un peu, comme pour exprimer par ce sourire toute la part respectueuse qu’il prenait au bonheur de son maître.

« Et combien de fois ai-je été fier d’elle. J’étais fier de sa beauté majestueuse, de son tact mon-