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— À la santé des jolies femmes, Pierre, et de leurs amants !

Pierre, les yeux baissés, but sans regarder Dolokhov et sans lui répondre. Le valet qui distribuait la cantate de Koutouzov posa une feuille devant Pierre, comme hôte plus respectable. Il allait la prendre, mais Dolokhov se pencha, lui arracha des mains la feuille et se mit à lire. Pierre regarda Dolokhov, ses paupières s’abaissèrent ; ce quelque chose de terrible et de monstrueux qui le tourmentait pendant le dîner se soulevait et le prenait tout entier. Il se pencha de tout son gros corps à travers la table.

— N’osez pas y toucher ! s’écria-t-il.

En entendant ce cri et apercevant à qui il se rapportait, Nesvitzkï et son voisin de droite, effrayés, s’adressèrent vivement à Bezoukhov.

— Cessez, cessez, qu’avez-vous ? chuchotaient leurs voix effrayées.

Dolokhov, souriant, regardait Pierre de ses yeux clairs, gais et cruels. Il semblait dire « Ah ! voilà ce que j’aime ! »

— Je le garde, prononça-t-il nettement.

Pâle, les lèvres tremblantes, Pierre arracha la feuille.

— Vous… vous… vous êtes un lâche !… je vous provoque ! prononça-t-il en repoussant sa chaise et se levant de table.

Au moment même où Pierre faisait cela et pro-