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née avait repoussé un ennemi deux fois plus fort. Une autre raison qui faisait de Bagration le héros choisi à Moscou, c’est qu’il n’avait aucun lien dans cette ville, qu’il y était étranger. Dans sa personne on rendait hommage en dehors de toutes relations et intrigues, au soldat russe, au guerrier, dont le nom était encore lié à celui de Souvorov par les souvenirs de la campagne d’Italie. De plus, en lui rendant de tels honneurs, on montrait mieux le mécontentement et le blâme à l’égard de Koutouzov.

Si Bagration n’existait pas, il faudrait l’inventer, disait le plaisant Chinchine en parodiant le mot de Voltaire. Personne ne parlait de Koutouzov et quelques-uns l’injuriaient tout bas en le traitant de girouette de cour et de vieux satyre.

Tout Moscou répétait les paroles du prince Dolgoroukov : « Il n’y a que celui qui ne fait rien, qui ne se trompe pas, » qui se consolait de notre défaite au souvenir des victoires anciennes, et l’on répétait avec Rostopchine qu’il fallait exciter les soldats français aux batailles par les grandes phrases, qu’avec les Allemands il fallait raisonner et les convaincre qu’il est plus dangereux de fuir que de marcher en avant, mais qu’il n’y a qu’à retenir le soldat russe et lui demander d’aller plus doucement. De tous côtés s’entendaient de nouveaux récits d’exemples de courage donnés à la bataille d’Austerlitz par nos soldats et nos offi-