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qu’il est déjà plus de minuit). Vous l’avez entendue, et nous tous accomplirons notre devoir. Et, avant la bataille, il n’y a rien de plus important… (il se tut un moment) que de bien dormir.

Koutouzov fit le mouvement de se lever ; les généraux saluèrent et s’éloignèrent. Il était déjà minuit passé. Le prince André sortit.

Le Conseil supérieur de la guerre devant lequel le prince André n’avait pas pu exposer son projet, ainsi qu’il l’avait espéré, lui laissait une impression vague et troublée. Qui avait raison, Dolgoroukov et Veyroter, ou Koutouzov, Langeron et ceux qui n’approuvaient pas le plan d’attaque ?

Il ne le savait. « Mais, est-ce que Koutouzov n’aurait pas pu exprimer directement à l’Empereur ses idées ! Ne peut-on pas agir autrement ? À cause de considérations personnelles de courtisans doit-on risquer des milliers d’existences et la mienne ?) ; pensait-il.

« Oui, il se peut qu’on me tue demain. » Et tout à coup, à cette idée de la mort, une série de souvenirs, les plus lointains et les plus intimes, s’éveillèrent dans son imagination. Il se rappelait les derniers adieux avec son père, avec sa femme, les premiers temps de son amour pour elle. Il se rappelait sa grossesse, et il se sentit ému pour elle et pour soi-même, et tout nerveux, il sortit de la cabane où il logeait avec Nesvitzkï et se mit à marcher devant la maison.