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toujours vers les hommes plus forts ou plus riches que lui et il était doué de ce talent rare de saisir précisément ce moment où il pouvait et où il fallait profiter d’eux.

Pierre, tout à fait à l’improviste, était devenu richissime et comte Bezoukhov et après sa solitude récente et son insouciance, tout à coup il se sentait à un tel point entouré, occupé, que c’était seulement au lit qu’il parvenait à rester seul avec soi-même. Il lui fallait signer des papiers, courir les chancelleries administratives dont il ne comprenait guère l’importance, interroger sur une chose ou une autre son premier intendant, aller dans son domaine près de Moscou, recevoir une quantité de personnes qui autrefois ne voulaient pas même connaître son existence et maintenant eussent été peinées et offensées qu’il ne voulût pas les voir. Toutes ces diverses personnes : hommes d’affaires, parents, connaissances, toutes étaient également bien disposées et tendres envers le jeune héritier. Tous évidemment et indiscutablement étaient convaincus des hautes qualités de Pierre. Sans cesse il entendait ces paroles : « Avec votre bonté extrême », « Avec votre bon cœur », « Vous-même êtes si pur, comte », « Si chacun était aussi intelligent que vous », etc, si bien qu’il commençait à croire vraiment en sa bonté et en son esprit extraordinaires, d’autant plus que toujours, au fond de son âme, il se jugeait, en effet, très bon et très in-