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reuse de l’homme qui, par une journée chaude, est prêt à se jeter à l’eau et fait ses derniers préparatifs. Il n’avait plus ni ses yeux endormis, vagues, ni l’air fin, profondément sage. Ses yeux d’épervier, ronds, résolus, regardaient en avant avec quelque solennité et quelque mépris, en apparence ne s’arrêtant sur rien, bien qu’en ce mouvement subsistât la lenteur et la régularité anciennes.

Le chef du régiment s’adressa au prince Bagration en le suppliant de s’éloigner de cet endroit trop dangereux.

— Je vous supplie, Votre Excellence, au nom de Dieu, — disait-il en regardant pour trouver aide parmi les officiers de la suite qui se détournaient de lui. « Voilà ? Veuillez regarder ! » Il lui faisait remarquer les balles qui sans cesse bourdonnaient, chantaient et sifflaient autour d’eux. Il parlait d’un ton de prière et de reproche, comme un charpentier qui dit à son patron qui prend la hache : « Nous autres, nous y sommes habitués, mais vous, vous attraperez des durillons aux mains. » Il parlait comme si ces balles ne pouvaient le tuer lui-même, et ses yeux demi-fermés donnaient à ses paroles quelque chose d’encore plus persuasif. L’officier d’état-major joignit ses exhortations à celles du chef du régiment, mais le prince Bagration ne lui répondit pas et ordonna seulement de cesser de tirer