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cette situation désespérée de l’armée russe, il lui vint en tête qu’à lui, précisément, était réservé de l’en sortir, que c’était pour lui le Toulon qui, d’officier inconnu qu’il était, le mènerait au grand chemin de la gloire. En écoutant Bilibine, il calculait déjà comment, en rejoignant l’armée, il donnerait au Conseil supérieur de la guerre le seul avis qui put la sauver, et comment on lui confierait la réalisation de ce plan.

— Assez plaisanter, — dit-il.

— Je ne plaisante pas, — continua Bilibine, — il n’y a rien de plus vrai et de plus triste. Ces messieurs arrivent seuls sur le pont, lèvent des mouchoirs blancs et affirment que c’est l’armistice et qu’eux, les maréchaux, viennent pour parler avec le prince Auersperg. L’officier de service les laisse passer en tête du pont. Ils lui racontent des milliers de gasconnades, ils disent que la guerre est terminée, que l’empereur Frantz a donné une entrevue à Bonaparte, qu’ils désirent voir le prince Auersperg, etc. L’officier envoie chercher Auersperg. Ces messieurs embrassent les officiers, plaisantent, montent sur les canons et, pendant ce temps-là, le bataillon français entre en catimini sur le pont, renverse dans l’eau les sacs contenant les matériaux inflammables et s’approche de la tête du pont. Enfin, paraît le lieutenant-général lui-même, notre cher prince Auersperg von Mautern : « Cher ennemi ! orgueil de l’armée autri-