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la comtesse en souriant doucement et en regardant la mère de Boris. Puis, répondant visiblement à la pensée qui la préoccupait toujours, elle continua : Eh bien, voyez-vous, si je la tenais sévèrement, si je la refrénais… Dieu sait ce qu’ils feraient en cachette (la comtesse pensait qu’ils s’embrasseraient). Et maintenant, je sais chacune de leurs paroles. Elle-même vient me trouver le soir et me raconte tout. Je la gâte peut-être, mais je crois que c’est mieux. J’ai élevé l’aînée plus sévèrement.

— Oui, on m’a élevée tout autrement, fit en souriant l’aînée, la belle comtesse Véra. Mais contrairement à l’ordinaire, le sourire n’embellissait pas le visage de Véra, qui au contraire devint innaturel, et par suite désagréable. L’aînée Véra était belle, pas sotte, instruite, bien élevée ; sa voix était agréable, ce qu’elle disait était sensé et à propos. Mais chose étrange, tous, la visiteuse et la comtesse, la regardaient comme si elles étaient étonnées qu’elle eût dit cela, et elles sentirent une maladresse.

— C’est toujours ainsi avec les aînés ; on veut faire des choses extraordinaires, dit la visiteuse.

— Pourquoi le cacher, ma chère, la comtesse a voulu faire de Véra quelqu’un d’extraordinaire, dit le comte. Eh bien ! quand même elle est très brave, ajouta-t-il avec un clin d’œil approbateur du côté de Véra.