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jamais une maladie ; comment serais-je exempté ? Est-ce qu’il faut au tzar les meilleurs soldats !

Polikei se mit à raconter qu’un paysan avait donné au docteur un billet bleu et, par ce moyen, s’était fait exempter.

Ilia se rapprocha du poêle et devint bavard.

— Non, Ilitch, maintenant tout est fini, et moi-même je ne veux pas rester. C’est l’oncle qui en est cause. N’aurait il pas pu acheter un remplaçant ? Non il n’aime que son fils et son argent. Et voilà, on m’envoie… Maintenant, moi-même je ne veux pas. (Il parlait doucement, confidentiellement, sous l’influence d’une tristesse douce.) La seule personne que je regrette, c’est ma mère. Comme elle avait du chagrin, la malheureuse ! Et ma femme aussi. Comme ça, pour rien, on a perdu une femme, maintenant elle sera perdue ; une femme de soldat, en un mot. Valait mieux ne pas me marier. Pourquoi m’ont-ils marié ? Demain elles viendront…

— Mais pourquoi vous a-t-on amenés si tôt ? — demanda Polikeï. — Ce tantôt on n’entendait parler de rien et tout d’un coup…

— On a peur que je me fasse du mal, répondit Ilia en souriant. Pas de danger, je ne me ferai rien, je ne serai pas perdu d’être soldat, seulement je plains ma mère. Pourquoi m’ont-ils marié ? — disait-il doucement et tristement.

La porte s’ouvrit brusquement et laissa passer le