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mais Polikeï lui montra son gousset et lui dit qu’il pourrait acheter toute sa boutique s’il le voulait, et il exigea qu’on lui essayât la pelisse. Il la secoua, la frotta, souffla sur la fourrure, même s’en imprégna et enfin, avec un soupir, il l’ôta. « Le prix ne me va pas. Si tu veux pour quinze roubles ? » dit-il. Le marchand, furieux, jeta la pelisse sur le comptoir et Polikeï sortit. Tout joyeux il alla à son logis. Après avoir soupé, puis donné l’avoine à Tambour, il grimpa sur le poêle, tira l’enveloppe, l’examina longuement et demanda à un postillon lettré de lire ce qu’elle portait : « Ci inclus mille six cent dix-sept roubles en billets de banque. » L’enveloppe était faite de papier ordinaire, les cachets étaient en cire grise ; l’effigie représentait des ancres : une grande au milieu et quatre petites, une à chaque coin. Sur le côté, il y avait une goutte de cire. Ilitch examina tout, apprit la suscription et même toucha le bout des billets de banque. Il éprouvait un plaisir enfantin à l’idée qu’une si grosse somme était entre ses mains. Il fourra l’enveloppe dans la doublure de son bonnet, l’enfonça sur sa tête et se coucha. Mais même pendant la nuit il se réveilla plusieurs fois et tâta l’enveloppe, et chaque fois en la sentant à sa place il lui était infiniment agréable de se dire que lui, Polikeï, l’humilié, l’offensé, détenait tant d’argent et qu’il le remettrait exactement, aussi exactement que pourrait le faire le gérant lui-même.