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qui ont dix mille roubles, vont dans des charrettes avec des guides de cuir ; mais quand même ce n’est pas la même chose. On voit un homme, avec une barbe, en caftan bleu ou noir, seul assis dans sa charrette que conduit un cheval bien nourri ; seulement dès qu’on regarde si le cheval est bien soigné, si le conducteur lui-même est nourri, à sa façon de s’asseoir, d’atteler le cheval, aux ferrures de la charrette, à sa ceinture, on voit tout de suite si le marchand fait le commerce pour des milliers ou pour des centaines de roubles. Tout homme expérimenté, au premier regard jeté sur Polikeï, sur ses mains, sur son visage, sa barbe qu’il laissait pousser depuis peu, sa ceinture, le foin jeté par ci par là dans le caisson, Tambour maigre, les bandes de fer usées, reconnaîtrait aussitôt que c’était un vil serf et non pas un marchand, non un marchand de bestiaux, ni un fermier, ni un homme nanti de milliers, de centaines ou de dizaines de roubles. Mais Ilitch ne pensait pas à cela et se leurrait agréablement. C’était trois demi-milliers de roubles, qu’il rapporterait dans son gousset. S’il voulait, au lieu de ramener Tambour à la maison, il le tournerait vers Odessa, et irait où Dieu le permettrait. Mais il ne fera pas cela. Il rapportera l’argent intact, et dira à Madame qu’il en a déjà porté beaucoup plus. En passant devant le cabaret, Tambour, tendit ses guides à gauche, s’arrêta et se tourna. Mais bien qu’il eût l’argent qu’on lui avait remis pour les achats, Polikeï