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la queue rabattue, se mit à courir vers la maison en aboyant, et les héritiers de Polikeï en crièrent dix fois plus fort.

Le temps était mauvais, le vent coupait le visage, et tantôt la neige, tantôt la pluie, tantôt le givre commençaient à fouetter la face d’Ilitch, ses mains nues, froides, qu’il cachait avec les guides sous les manches de son armiak, les courroies de l’arc et la vieille tête de Tambour qui rabattait les oreilles et fermait les yeux.

Puis, tout à coup, le ciel s’éclaircit momentanément, on voyait nettement les nuages blanchâtres de neige, et le soleil semblait percer, mais en hésitant et sans joie, comme le sourire de Polikeï lui-même. Malgré cela Ilitch était plongé en d’agréables pensées. Lui qu’on avait voulu déporter, lui qu’on avait menacé du service militaire, lui que le paresseux seul n’injuriait ni ne battait, lui à qui l’on donnait toujours les pires corvées, il était envoyé pour toucher une somme d’argent, beaucoup d’argent, et Madame avait confiance en lui ; il était dans la charrette du gérant, attelée de Tambour, que prenait Madame elle-même ; il allait comme un postier avec deux guides de cuir… Et Polikeï se redressait, rentrait l’ouate qui sortait de son bonnet et se serrait encore davantage. Cependant si Ilitch pensait avoir l’air d’un riche postier, il se trompait.

Chacun sait, il est vrai, que même les marchands