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avec leur rapidité habituelle, s’agitèrent en travers de la ligne de sa course.

Akoulina se leva et donna les bottes à son mari. Les bottes, des bottes de soldat, étaient mauvaises, déchirées. Elle prit le cafetan qui était sur le poêle et le lui tendit sans le regarder.

— Ilitch, tu ne changes pas de chemise ?

— Non, — dit Polikeï.

Akoulina ne regarda pas une seule fois son visage pendant, qu’en silence, il se chaussait et s’habillait.

Et elle fit bien. Le visage de Polikeï était pâle, sa mâchoire inférieure tremblait, et ses yeux avaient cette expression geignarde, timide, profondément malheureuse qui ne se rencontre que chez les hommes bons, faibles et coupables. Il se peigna puis voulut partir. Sa femme l’arrêta, lui arrangea le pan de la chemise qui était sur l’armiak et lui mit son bonnet.

— Quoi ! Polikeï Ilitch ! est-ce que madame vous demande ? fit entendre à travers la cloison, la voix de la femme du menuisier.

La femme du menuisier, le matin même, avait eu une grosse dispute avec Akoulina, à cause d’un pot de lessive que les enfants de Polikeï avaient renversé chez elle, et, au premier moment, il lui était agréable de comprendre que Polikeï était appelé chez madame : probablement ce n’était pas pour son bien. En outre c’était une fine mouche, mé-