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Quelques esprits forts considéraient Polikeï comme un vétérinaire ignorant et une cervelle vide. D’autres, la majorité, le regardaient comme un mauvais sujet, mais un grand maître en son art, et Akoulina, bien qu’elle injuriât souvent son mari et au besoin le battît, le considérait indubitablement comme le meilleur vétérinaire et l’homme le plus « capable » au monde. Polikeï versa dans le creux de sa main un ingrédient quelconque (il n’employait pas de balances et parlait ironiquement des pharmaciens allemands qui s’en servaient, — « Ça, disait-il, ce n’est pas une pharmacie. ») Polikeï secoua son ingrédient, il n’en trouva pas assez et en versa dix fois plus. « Je mettrai tout, ça le relèvera mieux », se dit-il.

Akoulina se retourna rapidement à la voix de son maître, en attendant des ordres. Mais, en s’apercevant qu’il ne s’adressait pas à elle, elle haussa les épaules. « Tout de même, quel esprit !… Et où prend-il ça ! » pensa-t-elle ; et elle se remit au métier. Le papier qui avait enveloppé l’ingrédient tomba sous la table. Akoulina ne l’y laissa pas.

— Anutka ! ton père a laissé tomber quelque chose, ramasse.

Anutka sortit ses petites jambes maigres, nues, du manteau qui la couvrait ; elle passa sous la table comme un petit chat, et prit le papier.

— Voici, petit père — Et ses petites jambes gelées disparurent de nouveau dans le lit.