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tenu d’une fiole, et à donner pour l’usage interne ce qui lui venait en tête. Et plus il faisait souffrir les chevaux, plus il en tuait, plus on croyait en lui, plus on venait le chercher.

Je sens qu’il n’est pas tout à fait convenable pour nous, les seigneurs, de nous moquer de Polikeï. Le procédé qu’il employait pour inspirer la confiance était le même que celui qui influençait nos pères, le même que celui qui agit sur nous et agira sur nos enfants. Le paysan qui appuie son ventre sur la tête de sa jument, son unique richesse, presque un membre de la famille, et qui, avec un sentiment mêlé de foi et de terreur, regarde le visage de Polikeï gravement froncé et ses mains fines, aux manches retroussées, avec lesquelles il presse précisément exprès le point douloureux et coupe hardiment la chair vivante, alors qu’il se dit à part lui : « Bah ! ça passera peut-être », et feint de savoir où est le sang, où est la matière, où la veine sèche, où la veine pleine, et tient entre les dents le torchon guérisseur ou la fiole au vitriol, — ce paysan, dis-je, ne peut pas croire que Polikeï lève la main pour couper au hasard. Lui-même ne pourrait le faire. Une fois l’entaille pratiquée, il ne se reprochera pas d’avoir fait couper en vain. Je ne sais si vous avez éprouvé ce sentiment, mais moi je l’ai ressenti devant le docteur qui, sur ma demande, a tourmenté des gens chers à mon cœur. La lancette et la mysté-