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— Tu es un ange ! — dit la cousine en lui baisant la main.

— Non, embrasse-moi ici. On ne baise à la main que les morts. Mon Dieu ! Mon Dieu !

Le même soir, la malade n’était plus qu’un cadavre, et le cadavre était mis en un cercueil placé dans la salle de la grande maison. Dans la grande chambre aux portes fermées, un diacre, assis, nasillait monotonement les psaumes de David. La lumière claire des cierges dans de hauts chandeliers d’argent tombait sur le front pâle de la morte, sur ses mains inertes, cireuses et sur les plis pétrifiés du linceul qui se soulevait lugubre sur les genoux et les doigts de pieds. Le diacre, sans comprendre les paroles, les récitait de sa voix monotone, et dans la chambre les sons résonnaient étrangement et s’étouffaient. De temps en temps, d’une chambre éloignée, arrivaient les voix des enfants et leurs piétinements.

« Caches-tu ta face : elles sont troublées.
Retires-tu leur souffle : elles défaillent et retournent
en leur poudre.
» Mais si tu renvoies ton Esprit, elles sont créées,
de nouveau, et tu renouvelles la face de la terre.
» Que la gloire de l’Éternel soit célébrée à toujours. »
(Psaume 103, versets 29-30-31. Version
Osterwald.)

Le visage de la morte était sévère et majestueux.