Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diens s’en aperçussent. Léon Nikolaievitch racontait aussi, avec les larmes aux yeux, qu’un décembriste enfermé dans la forteresse avait une fois appelé un soldat de garde et, lui donnant le reste de son argent, lui avait demandé d’aller lui acheter une pomme. Le garde rapporta une belle corbeille de fruits et l’argent. Le marchand avait fait ce présent quand il avait su qui était le détenu.

Le décembriste, Lounine, colonel du régiment de la garde, étonnait Léon Nikolaievitch par son énergie inébranlable et ses sarcasmes. Dans une lettre envoyée du bagne à sa sœur qui se trouvait à Pétersbourg, il se moquait de la nomination du comte Kissiliov comme ministre. Cette lettre devait passer par le chef des travaux et fut connue à Pétersbourg.

Lounine fut, pour ce fait, attaché à une brouette. Néanmoins le directeur du bagne, un lieutenant-colonel, d’origine allemande, chaque jour, après l’inspection des travaux, sortait et riait longtemps en s’en allant. C’était Lounine qui savait le faire si bien rire, — attaché à sa brouette, — en travaillant sous la terre.

Mais tout à coup, Tolstoï perdit son enthousiasme pour cette époque. Il jugea que la révolte de Décembre était le résultat de l’influence des émigrants français installés en Russie lors de la Révolution. Des émigrants, en qualité de précepteurs, élevèrent ensuite toute l’aristocratie russe,