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faire au tribunal de province et la gagna ; en outre six des paysans d’Izlegostchï, qui avaient injurié l’arpenteur, étaient mis en prison.

Après cela, le prince Tchernichov, avec son insouciance habituelle, ne s’occupa plus de rien, d’autant plus qu’il savait pertinemment qu’il n’ « usurpait » point de terre aux paysans, comme il était dit dans leur requête. Si la terre était « usurpée », c’était par son père et, depuis, plus de quarante ans s’étaient écoulés. Il savait que les paysans d’Izlegostchï vivaient très bien sans cette terre, qu’ils n’en avaient pas besoin, qu’ils s’étaient montrés pour lui de bons voisins et il ne pouvait comprendre pourquoi, maintenant, ils étaient si montés contre lui. Il était persuadé de n’avoir offensé personne ni d’avoir voulu le faire ; il avait toujours vécu en paix avec tous et ne désirait que cela, c’est pourquoi il ne pouvait croire qu’on eût le désir de l’offenser. Il abhorrait le dédale de la procédure, et ne fit aucune démarche au Sénat, malgré les conseils et les exhortations d’Ilia Mitrofanov, son homme d’affaires. Il laissa passer le délai de l’appel et perdit l’affaire au Sénat ; il la perdit si bien qu’il ne lui restait que la ruine. D’après l’arrêt du Sénat, non seulement on lui prenait cinq mille déciatines de terre, mais pour la possession illicite de cette terre il devait verser aux paysans cent sept mille roubles. Le prince Tchernichov possédait huit mille âmes, mais tous ses domaines étaient hypo-