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guaient, et il ne comprenait nullement pourquoi, faire quarante verstes sur ses skiss n’était rien pour lui, tandis que rester debout pendant les douze évangiles, c’était pour lui le plus grand tourment physique ; enfin il était resté parce qu’il sentait que le plus nécessaire pour lui c’était un habit neuf.

Il s’habilla et alla au Pont des Maréchaux. Il avait assez d’argent. Depuis qu’il avait vingt et un ans, son père avait adopté comme règle de lui donner tout l’argent qu’il voulait ; il dépendait de lui de laisser son père et sa mère sans argent.

Comme je regrette ces deux cent cinquante roubles dépensés en vain dans les magasins de confections de Kountz ! Chacun des messieurs qui se croisèrent avec Serge l’eût renseigné très volontiers et aurait considéré comme un bonheur d’aller avec lui pour commander un costume ; mais, comme il arrive toujours, il était seul parmi la foule. En bonnet, il passa le Pont des Maréchaux sans regarder les magasins ; arrivé au bout, il ouvrit une porte et en sortit en frac marron étroit (on les portait larges), en pantalon noir large (on les portait étroits), dans un gilet de soie pointillée qu’aucun des messieurs qui fréquentaient les salons particuliers, chez Chevalier, n’aurait laissé porter à son valet, et Serge avait acheté encore beaucoup de choses pareilles. Kountz s’était étonné de la taille fine du jeune homme, et il di-