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jamais il ne commença ni ne cessa de boire. On remarquait surtout sa déchéance dans l’inquiétude du regard, dans la mollesse des intonations et des mouvements.

Cette inquiétude frappait parce qu’elle était évidemment récente, parce qu’il était évident que, pendant toute sa vie, il n’avait craint rien et personne, et que maintenant, par de pénibles souffrances, il était arrivé à cette peur si incompatible avec sa nature.

Les maîtres du logis remarquaient cela et se regardaient l’un l’autre en se comprenant ; ils ajournaient seulement jusqu’au lit la discussion des détails à ce sujet, et supportaient le pauvre Nikita, même le flattaient.

La vue du bonheur du jeune maître humiliait Nikita, lui rappelait son passé, perdu à jamais, et le lui faisait envier maladivement.

— Quoi ! Marie, le cigare ne vous gêne pas ? dit-il en s’adressant à la dame, de ce ton particulier, avec une politesse amicale mais pas trop respectueuse, qu’ont les gens du monde en parlant aux femmes entretenues, et qu’ils n’emploient pas avec les dames ; non qu’il voulût la blesser, au contraire, maintenant il voulait plutôt la flatter, elle et son amant, bien qu’il ne se le fût avoué pour rien au monde, mais il était habitué à parler ainsi avec ces femmes. Il savait qu’elle-même serait surprise et offensée s’il la traitait en dame. En outre il fallait