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Mais, malgré tout, c’était le meilleur temps de ma vie ! À midi on venait, on attelait, graissait les sabots, mouillait le toupet et la crinière et l’on me poussait entre les brancards.

Les traîneaux étaient en roseaux tressés recouverts de velours ; les harnais avaient de petits anneaux d’argent ; les guides étaient en soie, et, pendant un temps, j’avais un filet. L’attelage était tel que, quand toutes les courroies étaient bouclées et arrangées, on ne pouvait distinguer où se terminait l’attelage et où commençait le cheval. On attelait toujours dans le hangar. Il arrivait que Théophane, le derrière plus large que les épaules, une ceinture rouge sous les aisselles, inspectait l’attelage, s’asseyait, réparait son cafetan, mettait ses pieds sur l’étrier, plaisantait, mettait en travers, comme toujours, le fouet avec lequel il ne me touchait presque jamais et qu’il portait seulement comme ça, par convenance, et disait : « Va ! » Et en jouant à chaque pas je sortais de la porte cochère. Une cuisinière qui était entrée pour jeter les ordures, s’arrêtait au seuil ; un paysan qui apportait du bois s’arrêtait aussi et regardait, les yeux grands ouverts. Il sortait, faisait quelques pas et s’arrêtait ; les valets sortaient, les cochers arrivaient ; les conversations commençaient. On attend, toujours. Parfois nous restions trois heures près du perron.

Nous tournions de temps en temps, puis nous nous arrêtions de nouveau.