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Ils s’étonnaient que je me laissasse atteler comme un vieux cheval. On se mit à me promener et, je m’exerçai à trotter. Mes progrès augmentaient de jour en jour, de sorte que, trois mois après, le général lui-même et beaucoup d’autres louaient mon allure. Mais, chose étrange, précisément parce qu’ils s’imaginaient que je n’étais pas à moi, mais au palefrenier chef, mon allure prenait pour eux une tout autre importance. Mes frères, les trotteurs, étaient promenés dans des champs de course. On mesurait combien ils pouvaient porter ; on allait les regarder dans des cabriolets dorés ; on les couvrait de mantes de prix. Moi j’étais attelé au simple drojki du palefrenier chef, et j’allais, pour ses affaires, à Tchesmenka et autres hameaux. Tout cela parce que j’étais pie, et surtout, parce que, d’après leur opinion, je n’étais pas au comte mais au palefrenier chef.

Demain, si nous sommes de ce monde, je vous raconterai la conséquence principale qu’eut pour moi ce droit de propriété que s’attribuait le chef palefrenier. »




Tout ce jour les chevaux se montraient respectueux envers Kholstomier, mais la conduite de Nester restait aussi grossière. Le poulain gris du moujik, en se rapprochant du troupeau, hennissait et la jument grise coquetait de nouveau.