Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haras. — Eh ! Baba, tu m’as bien arrangé ! fit-il à ma mère. Valait mieux un chauve qu’une pie.

Ma mère ne répondit rien et comme toujours en pareil cas, soupira de nouveau.

— Et de quel diable est-il né ? C’est comme un moujik, — continua-t-il. — On ne peut pas le laisser dans le haras, c’est une honte ! Et il est beau, très beau ! — disait-il et disaient tous en me regardant.

Quelques jours plus tard le général vint en personne. Il m’examina, et de nouveau, tous semblaient terrifiés de quelque chose et nous insultaient, moi et ma mère, pour la couleur de mon pelage. — Et il est beau, très beau, — disaient tous ceux qui me voyaient.

Jusqu’au printemps nous vécûmes dans le haras, tous séparés, chacun près de sa mère, seulement, parfois, quand la neige des toits commença à fondre au soleil, on nous laissait sortir avec nos mères dans la large cour couverte de paille fraîche. Là, pour la première fois, je connus tous mes parents proches et éloignés. Là je voyais sortir de diverses portes les juments célèbres de ce temps avec leurs poulains. Là se trouvaient la vieille Hollandaise, Mouchka la fille de Smetanka, Krasnoukha, Dobrokhotikha, le cheval de selle ; toutes les célébrités d’alors se réunissaient ici avec leurs poulains, se promenaient au soleil, se couchaient sur la paille fraîche, se flairaient comme de simples chevaux. Je ne puis oublier, jusqu’à présent la vue de ce