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fallait payer pour cette vie, mais malgré tout, c’était un cheval, et souvent il ne pouvait se retenir d’un sentiment d’offense, de tristesse et d’indignation en regardant toute cette jeunesse qui le punissait pour une fatalité qu’elle subirait aussi plus tard. La cause de la cruauté des chevaux venait aussi d’un sentiment aristocratique. Chacun d’eux, par le père ou la mère, descendait du célèbre Smetanka, et le hongre était d’origine inconnue. C’était un intrus acheté à la foire, trois ans avant, pour quatre-vingts roubles.

La jument brune, comme en se promenant, s’approcha jusque sous le nez du hongre et le poussa. Il y était habitué, et, sans ouvrir les yeux, les oreilles aplaties, il montra les dents. La jument se tourna de l’arrière et feignit de vouloir le frapper. Il ouvrit les yeux et s’éloigna. Il ne voulait déjà plus dormir et se mit à manger. De nouveau la polissonne, suivie de ses camarades, s’approcha du hongre. Une jeune jument de deux ans, très sotte, qui imitait toujours la brune, vint avec elle, et comme tous les imitateurs, se mit à exagérer ce que faisait l’autre. La jument brune, ordinairement, s’approchait comme si elle allait à son affaire, passait sous le nez du hongre sans le regarder, de sorte qu’il ne savait même pas s’il devait se fâcher ou non. Et en effet c’était drôle.

Maintenant elle faisait la même chose, mais l’autre qui marchait derrière elle et qui était déjà