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polissonne s’exprimaient un sentiment et une certaine tristesse : on y sentait le désir et la promesse de l’amour, et la tristesse de l’attente.

Un râle de genêt, en courant d’un endroit à l’autre dans la rosée épaisse, appelait sa compagne d’une voix passionnée ; le coucou et la caille cherchaient l’amour, et les fleurs s’envoyaient l’une à l’autre, sur l’aile du vent, leur poussière parfumée.

« Et moi aussi, je suis jeune, belle et forte, disait le hennissement de la polissonne, et jusqu’ici je n’ai pas éprouvé la douceur de ce sentiment ; non seulement je ne l’ai pas éprouvée, mais pas un seul amoureux ne m’a encore vue ».

Et le hennissement expressif, triste, jeune, se propageait en bas dans le champ et, de loin, arrivait jusqu’au petit cheval gris. Il dressait les oreilles et s’arrêtait.

Le paysan le frappait de son lapot, mais le petit cheval, charmé du son argentin du hennissement lointain, hennissait aussi. Le paysan se fâcha, le tira par la guide et le frappa d’un tel coup de lapot dans le ventre qu’il n’acheva pas son hennissement et avança. Mais le petit cheval gris ressentait de la douceur et de la tristesse et, des blés lointains, pendant longtemps encore, arrivait jusqu’au troupeau, avec le son d’un hennissement passionné, la voix irritée du paysan.

Si le petit cheval avait pu, au son de cette voix, oublier tout, jusqu’à son service, alors qu’aurait-il