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mères, couraient d’un petit trot gauche, d’un côté tout opposé, comme s’ils cherchaient quelque chose, et ensuite, on ne sait encore pourquoi, s’arrêtaient et s’ébrouaient d’une voix désespérée et perçante. D’autres, par-ci, par-là, étaient allongés sur le flanc ; d’autres apprenaient à mâcher l’herbe et quelques-uns se grattaient l’oreille avec la patte de derrière. Deux juments, encore pleines, marchaient à part ; elles déplaçaient lentement leurs pattes et mangeaient encore. On voyait que leur état était respecté des autres, et personne, parmi la jeunesse, n’osait venir près d’elles et les déranger. Si une dévergondée voulait les approcher, alors un mouvement de l’oreille et de la queue suffisait pour lui montrer toute l’inconvenance de sa conduite.

Les étalons, les juments d’un an, jouant déjà aux personnages sérieux, sautaient rarement et se réunissaient en joyeuse compagnie. Ils mangeaient l’herbe lentement, en courbant leur long cou de cygne, et comme s’ils avaient eu des queues, en agitaient le tronçon. Comme les grands, quelques-uns se couchaient, se roulaient, ou se grattaient l’un l’autre. La compagnie la plus gaie était formée de juments de deux et trois ans, des célibataires. Elles marchaient presque toutes ensemble et formaient une foule joyeuse de vierges. On entendait parmi elles les piaffements, les cris aigus, les ébrouements, les hennissements. Elles se réunissaient,