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sissaient des places où personne ne les gênait. Mais déjà elles ne mangeaient plus et goûtaient seulement les petites herbes fines. Tout le troupeau, insensiblement, s’avancait dans la même direction.

Et de nouveau, la vieille Jouldiba marchait lentement devant les autres, leur montrant la possibilité d’aller plus loin. La jeune et noire Mouchka, qui avait son premier poulain, hennissait sans cesse et, en levant la queue, s’ébrouait sur son poulain gris. La jeune Atlassnaia, au poil lisse et brillant, la tête tellement baissée que son toupet, noir comme de la soie, lui couvrait le front et les yeux, jouait avec l’herbe et frappait avec sa patte velue mouillée de rosée. Un des poulains plus âgés, imitant sans doute quelqu’un, soulevait pour la vingt-sixième fois sa petite queue courte, galopait autour de sa mère qui, habituée déjà au caractère de son fils, mangeait tranquillement l’herbe et seulement, de temps en temps, lui jetait un regard oblique de son grand œil noir.

Un des plus petits poulains, noir, avec une grosse tête, le toupet en avant, entre les vieilles, la petite queue tournée encore du même côté que dans le ventre de sa mère, l’oreille dressée, fixait ses yeux inexpressifs, sans changer de place, sur le poulain qui galopait, et se reculait sans qu’on sût s’il enviait ou blâmait que l’autre fit ainsi. Quelques-uns tétaient en avançant le nez ; d’autres, on ne sait pourquoi, malgré les appels de leurs