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ments. Une jeune jument, dévergondée, dès qu’elle eut franchi la porte cochère, baissa la tête de côté, souleva son derrière et poussa un cri, mais cependant elle n’osa pas devancer la vieille grise Jouldiba qui, d’un pas calme, lourd, en balançant son ventre d’un côté sur l’autre, marchait lentement comme toujours devant tous les chevaux.

La cour quelques minutes avant si animée, se vidait tristement. Les poteaux restaient, mornes, sous l’auvent vide et l’on ne voyait que de la paille piétinée, couverte de fumier. Ce tableau d’abandon avait beau être coutumier au hongre pie, il lui produisait sans doute une triste impression. Lentement, il inclinait la tête et la relevait comme en un salut, soupirait autant que le lui permettait la sangle serrée, et, en traînant ses pattes cagneuses, lourdes, suivait à pas lents le troupeau, en portant sur son dos osseux le vieux Nester.

« Maintenant je le sais : aussitôt que nous serons sur la route, il allumera sa pipe de bois renfermée dans son étui de cuir à chaînette. J’en suis même content, parce que, le matin de bonne heure, avec la rosée, cette odeur m’est agréable et me rappelle de doux souvenirs. L’ennuyeux c’est que, quand il a sa pipe entre les dents, le vieux est toujours gai, il se croit très fort, et s’assied de côté, tout à fait de côté, juste du côté qui me fait mal. Cependant que Dieu le bénisse ; ce n’est pas une nouveauté pour moi de souffrir pour le plaisir des