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— Va ! — prononça, du même ton, le palefrenier en s’approchant de lui ; et il posa sur le fumier, près de lui, la selle et une couverture crasseuse. Le hongre pie cessa de lécher, et sans remuer regarda longuement Nester. Il n’a pas ri, il ne s’est pas fâché, il n’a pas froncé son front, mais il remua seulement tout son ventre, respira lourdement et se détourna. Le palefrenier enlaça son cou et lui mit le bridon.

— Qu’as-tu à soupirer ? dit-il.

Le hongre agita la queue comme s’il voulait dire : « Comme ça, pour rien, Nester. »

Nester mit sur le hongre la couverture et la selle ; celui-ci baissa les oreilles, sans doute pour exprimer son mécontentement, ce qui lui valut d’être appelé « vaurien », et Nester attacha la sous-ventrière.

Le hongre se renfrogna, mais on lui mit le doigt dans la bouche et il reçut un coup de genou dans le ventre, si bien qu’il en soupira. Malgré cela lorsqu’avec les dents on tira la sangle de chabraque, de nouveau il baissa les oreilles et même se retourna. Il savait bien que ça ne changerait rien, mais cependant il croyait nécessaire d’exprimer que ça lui était désagréable, et il le montrait chaque fois. Quand la selle fut mise, il écarta la jambe droite et se mit à mâcher le mors, et cela aussi par des considérations à lui personnelles, car il devait savoir qu’un mors ne peut avoir aucun goût,