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nuit, tous calmes, ils avaient causé entre eux de l’enrôlement, mangé du pain, s’étaient grattés, et, principalement avaient empli tout le vestibule de leur odeur ; si bien que la femme du menuisier, en passant devant eux, cracha et les appela « espèce de moujiks ». Quoi qu’il en soit, le pendu était toujours au grenier, et l’esprit méchant semblait, pour cette nuit, entourer le pavillon de son aile gigantesque et montrer son pouvoir, en se plaçant plus près que jamais de ces hommes.

Du moins tous sentirent cela. Je ne sais si c’était juste ; je pense même que non. Je pense que si quelqu’un de hardi, cette nuit-là, eût pris une chandelle ou une lanterne et, se signant, ou même sans cela, fût allé au grenier, et lentement, eût écarté, par la lumière de la chandelle, l’horreur de la nuit, s’il eût éclairé la poutre, le sol, le mur couvert de toiles d’araignées, la pèlerine oubliée par la femme du menuisier, s’il se fût avancé jusqu’à Ilitch, si, ne s’abandonnant pas à la peur, il eût soulevé la lanterne à la hauteur du visage, il aurait aperçu le corps connu, maigre, les pieds touchant le sol (la corde s’était lâchée), penché de côté, sans signe de vie, avec le col de la chemise déboutonné, sous laquelle on ne voyait plus de croix, la tête baissée sur la poitrine, et le bon visage avec des yeux ouverts sans voir, le sourire, doux, coupable, le calme sévère, et le silence absolu. Vraiment la femme du menuisier qui s’enfoncait sous sa cou-