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sinistrement, la neige tombait sur nos pelisses comme jetée à pleine pelle. Je me retournai : la troisième troïka n’était plus derrière nous (elle s’était attardée quelque part). Près du deuxième traîneau, à travers le brouillard de neige, on apercevait le petit vieillard qui sautillait d’un pied sur l’autre. Ignachka s’éloigna à trois pas du traîneau, s’assit sur la neige, enleva sa ceinture et se mit à ôter ses bottes.

— Que fais-tu là ? — demandai-je.

— Il faut que je me déchausse, sans cela mes pieds gèleront tout à fait, — répondit-il ; et il continua sa besogne.

J’avais froid à sortir le cou du collet pour le regarder faire. J’étais assis tout droit et regardais le bricolier, qui, une patte écartée, paresseux, harassé, agitait sa queue noire couverte de neige. La secousse qu’Ignachka imprima au traîneau en sautant sur son siège m’éveilla.

— Qu’y a-t-il ? où sommes-nous maintenant ? — demandai-je. Arriverons-nous au moins avant le jour ?

— Soyez tranquille, nous vous amènerons, — répondit-il. — Maintenant que je me suis déchaussé j’ai les pieds chauds.

Et il tirait les guides, les clochettes tintinnabulaient, le traineau recommençait à se balancer et le vent sifflait sous les patins. De nouveau nous voguions dans un océan de neige.