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sous ses grands sabots, se mettait à chercher la route.

— Quoi ! Où vas-tu ? Sommes-nous égarés ? — demandai-je.

Mais le postillon ne me répondit pas, et détournant son visage du vent qui lui fouettait les yeux, il s’éloigna du traîneau.

— Eh bien ! As-tu trouvé ? — répétai-je quand il revint.

— Il n’y a rien, — fit-il tout à coup avec impatience et dépit, comme si j’étais coupable de ce qu’il se fût égaré. Et, installant de nouveau et lentement ses longues jambes sur le siège, il se mit à arranger les guides avec ses moufles gelées.

— Qu’allons-nous faire ? — demandai-je quand nous nous remîmes en route.

— Que faire ! Allons où Dieu nous mènera.

Et nous continuâmes du même petit trot, tantôt sur la neige d’une route non frayée, tantôt à travers une épaisseur d’un quart d’archine[1] de neige, tantôt sur la croûte gelée qui craquait.

Bien qu’il fît froid, la neige fondait très vite sur le collet. Les tourbillons d’en bas augmentaient toujours, et d’en haut commençait à tomber une neige rare, sèche.

Il était clair que nous allions à la grâce de Dieu, car, après un nouveau quart d’heure de marche, nous n’avions pas encore rencontré un seul poteau.

  1. L’archine vaut 0 m. 76 centimètres.