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mier mon état d’esprit et me proposa d’aller nous installer en ville, mais je lui demandai de n’y pas aller, de ne pas changer notre façon de vivre, de ne pas briser notre bonheur. Et en effet, j’étais heureuse, mais j’étais ennuyée de ce que ce bonheur ne me coûtât aucune peine, aucun sacrifice, alors que les forces du travail et du sacrifice me tourmentaient. Je l’aimais et je voyais que j’étais tout pour lui, mais je voulais que tous vissent notre amour, qu’on y mît obstacle, afin de l’aimer malgré tout. Mon esprit et même mon cœur étaient occupés, mais il y avait en moi, un autre sentiment, celui de la jeunesse, du besoin de mouvement qui ne trouvait pas à se satisfaire dans notre vie calme. Pourquoi m’a-t-il dit que nous pourrions aller en ville dès que je le voudrais ? S’il ne m’avait pas dit cela, peut-être aurais-je compris que le sentiment qui m’oppressait n’était que vilaine sottise, que jen étais coupable, que le sacrifice que je cherchais était ici, devant moi, dans la destruction de ce sentiment. L’idée que je ne pouvais échapper à l’ennui qu’en allant à la ville, malgré moi m’obsédait ; et en même temps, de le détacher de tout ce qu’il aimait à cause de moi, cela me faisait honte et me donnait des remords. Et le temps s’écoulait, la neige entourait de plus en plus les murs de la maison et nous étions toujours les mêmes l’un envers l’autre. Et là-bas, quelque part, dans la splendeur et le bruit, se mouvaient, souf-