Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gieux avec la bénédiction de l’eau. Le jour de la fête de Tatiana Sémionovna, et pour celle de son fils (et la mienne pour la première fois cet automne), on donnait un festin à tout le village. Et tout cela se faisait immanquablement, d’aussi loin que se rappelait Tatiana Sémionovna. Mon mari ne se mêlait de rien dans la maison, il ne s’occupait que du domaine et des paysans et s’en occupait beaucoup. Même l’hiver, il se levait très tôt, de sorte qu’en m’éveillant je ne le trouvais déjà plus. Il rentrait ordinairement pour le thé que nous prenions seuls, et presque toujours à cette heure, après les soucis et les désagréments de l’exploitation, il se trouvait dans cette disposition d’esprit particulièrement gaie, que nous appelions «transport sauvage.»

Souvent j’exigeais qu’il me racontât ce qu’il avait fait le matin et il racontait de telles bêtises que nous éclations de rire ; parfois j’exigeais un récit sérieux, et, les sourcils levés, il se mettait à raconter. Je regardais ses yeux, ses lèvres qui remuaient, et ne comprenais rien, je me réjouissais seulement de le voir et d’entendre sa voix.

« Eh bien ! Que disais-je donc ? Répète ? » — disait-il.

Mais je ne pouvais rien répéter. Cela me semblait si drôle qu’il pût me raconter à moi quelque chose ne concernant ni lui ni moi, mais autrui. N’étais-je pas indifférente à tout ce qui se faisait là-bas ?